Les poumons de papi | Partie 1 - Crier dans le vide

Je n’ai jamais autant crié que pendant les 2 ans où cette histoire s’est déroulée.
Dans ma tête. Dans ma voiture dès que j’avais déposé les enfants à la garderie. Dans mon oreiller. Dans la douche. Dans le vide.
Toujours dans le vide. Parce que s’il y a quelque chose à comprendre de l’expérience des familles d’une personne atteinte d’une maladie dégénérative, c’est bien ça.
La profonde, vertigineuse impuissance d’un appel au secours qui ne trouve pas écho. Le désespoir à petites bouchées.
Et bien qu’à la loto du destin, nous ayons gagné le million au tout dernier moment, je me sens quand même le devoir de partager notre expérience.
Pour tous ceux qui attendent encore leur miracle à eux, pour leurs proches… et pour ceux qui n’ont pas eu notre chance.
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En 2017, suite à un grand choque émotif, la santé de mon père s’est mise à se détériorer.
Fatigue, douleurs, toux constante, manque de souffle, impatience… autant de drapeaux rouges qui nous laissaient entrevoir le rude combat qui avait déjà débuté à notre insu.
Le diagnostic a été long à venir, nous sommes restés dans le doute pendant plusieurs mois. Encore une bronchite ? Non. Une dépression ? Non. Une infection aux poumons ? Non. Mon Dieu, un cancer ? Non.
Pendant tout ce temps, nous avons essayé d’épargner les enfants. À quoi bon les entraîner avec nous dans le tordeur si je n’ai aucune réponse à leur donner ?
Mais éventuellement, le stress de ressentir l’anxiété mal dissimulée des adultes autour, de voir leur grand-père si aimant, si impliqué se refermer sur lui-même peu à peu, est devenu plus grand que celui de connaître au moins une partie de la vérité.
« Ils ont quoi les poumons de Papi, maman ? »
« Je ne sais pas mon amour. Ils sont malades. On est chanceux, les docteurs s’en occupent. En attendant, Papi a besoin de repos. Il est un peu triste de ne plus pouvoir jouer avec toi autant qu’avant tu sais… veux-tu qu’on lui fasse un dessin ? »
Des mots durs enveloppés de douceur. Le mieux que l’on puisse faire.
Et puis soudain, l’ennemi s’est dévoilé : « Fibrose pulmonaire ». On ne guérit pas de cette maladie. On essaie de la freiner… si possible.
Je pourrais t’expliquer en termes médicaux ce qu’est cette horreur, ce à quoi cela ressemble quand on est au premier rang pour l’observer. Mais ça ne rendrait pas justice à la réalité. La vérité ?
J’ai vu mon père se noyer.
Au ralenti. Les yeux dans les yeux. En cherchant son air, en maudissant la vie et ce corps qui le trahissait, qui l’abandonnait.
Témoin privilégiée de sa mort à petit feu.
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Il y aurait tellement de choses à raconter…
Comment tout a toujours été au pire.
Comment la maladie a évolué à vitesse Grand V. Sans aucun répit.
Comment j’ai développé ce besoin obsessif d’être disponible en tout temps, au bout du fil, collé à mon cellulaire jour et nuit pour être là, si jamais…
Comment le quotidien est devenu lourd.
Comment l’angoisse et la peine épuisent et usent.
Comment on se sent seuls, même entourée de millions de tonnes d’amour.
Comment on a organisé subtilement plein de « dernières fois », le cœur en miettes. Parce que l’espoir, parfois, a des limites.
Comment la greffe, notre « worst case scenario », est soudainement devenue la seule solution.
Mais je vais plutôt sauter directement au jour où la lumière s’est invitée dans cette histoire. Sans même qu’on ne la reconnaisse au départ, habitués que nous étions à toujours nous préparer au pire…
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Un matin d’août, mon père est entré à l’hôpital pour un suivi de « routine », mais son équipe médicale n’était pas disponible. Ils étaient en salle d’opération. Quelqu’un, sur la liste d’attente des greffes, avait eu l’appel tant désiré.
Comme il était déjà sur place, on lui a fait voir l’inhalothérapeute. Elle ne l’a pas laissé repartir. Son état s’était trop dégradé. Même tout l’attirail, la machinerie, l’oxygénothérapie et les tubulures du monde ne lui permettaient plus de rester à la maison.
C’est là, à cet instant que son destin s’est scellé.
En une seconde, il venait de passer de la liste d’attente « régulière » à la liste d’urgence. Si des poumons de la bonne taille et du bon groupe sanguin devenaient disponibles, ils seraient à lui.
C’est le petit enchaînement d’évènements à l’apparence insignifiants qui a tout changé. La chance avait basculé dans notre camp sans que personne ne le sache encore.
Mais le compte à rebours était aussi plus précis.
Sans greffe, mon père n’avait plus que 3 mois à vivre.
Maximum.
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C’est ici que je te laisse souffler un peu. Dans mon prochain billet, je te raconterai la suite de notre histoire…
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